C’est dans un climat tendu que les députés de la 14ème législature ont voté la proposition de loi controversée sur le report de l’élection présidentielle. Les parlementaires sénégalais ont débattu du texte qui ajourne la présidentielle malgré les nombreux blocages au cours du processus.
Aujourd’hui acté, l’élection présidentielle, initialement prévue ce 25 février, est reportée au 15 décembre 2024. Le débat était houleux concernant ce texte qui a permis de reporter le scrutin de dix mois et dont l’approbation a nécessité une majorité des trois cinquièmes des 165 députés finalement acquise sans débat de fond. Puisque le président de l’Assemblée nationale a dû faire appel à la gendarmerie au sein de l’hémicycle pour évacuer, manu militari, les députés qui tentaient d’empêcher le vote.
Mais c’est une première, depuis 1963 qu’une présidentielle au suffrage universel direct est reportée au Sénégal, un pays qui a toujours été un exemple de démocratie en Afrique. Et ce report de la présidentielle par Macky Sall à quelques heures de l’ouverture de la campagne électorale va, à coup sûr, faire un tollé sur fond de crainte d’un excès de fièvre dans ce pays réputé être un îlot de stabilité en Afrique de l’Ouest, mais qui, il est important de le rappeler, a surtout traversé différents épisodes de troubles depuis 2021.
Déjà l’ajournement du scrutin a été annoncé sur fond de tensions entre l’Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel, qui avait validé en janvier, vingt candidatures (un record) mais en avait rejeté plusieurs dizaines d’autres.
Deux ténors de l’opposition ont été exclus : Ousmane Sonko, en prison depuis juillet, et Karim Meïssa Wade dont les partisans ont remis en cause l’intégrité de deux juges constitutionnels et réclamé le report de l’élection.
À son initiative, l’Assemblée a approuvé la semaine dernière la création d’une commission d’enquête sur les conditions de validation des candidatures. Et contre toute attente, des députés du camp présidentiel ont soutenu la démarche.
Ce soutien a aussi nourri le soupçon d’un plan du pouvoir en parfaite cohésion avec le parti de l’ancien président Abdoulaye Wade, pour ajourner la présidentielle et éviter une défaite de son candidat, le Premier ministre Amadou Ba, qui ne fait pas l’unanimité dans les rangs du camp présidentiel et qui continue de faire face à des dissidences.
Une candidature qui a surpris plus d’un, l’anti-système Bassirou Diomaye Faye, dont la candidature a été validée par le Conseil constitutionnel bien qu’il soit emprisonné depuis 2023. Il s’est imposé ces dernières semaines comme un postulant crédible et qui peut remporter les élections, un scénario cauchemardesque pour le camp présidentiel.
Et pourtant selon le code électoral, un décret fixant la date d’une nouvelle présidentielle doit être publié au plus tard 80 jours avant le scrutin. Le président Sall, élu en 2012 pour sept ans puis réélu en 2019 pour cinq ans et qui n’est pas candidat cette fois, sera encore à son poste au-delà de l’échéance de son mandat, le 2 avril. Et avec la prorogation du mandat du « Macky », le peuple a exprimé son désaccord et les incidences pointent à l’horizon.
Ce report de l’élection fait parler avec les démissions du ministre conseiller Abdoul Latif Coulibaly, mais aussi de l’ancienne ministre de la santé, Pr Awa Marie Coll Seck de la présidence de l’Initiative pour la Transparence dans les industries Extractives (ITE). Nul besoin d’aller chercher loin pour comprendre les raisons.
Beaucoup marquent leur désaccord sur la prorogation du mandat du président. Et des démissions surprises il y’en aura encore puisque certains vont tourner le dos au « Macky ». Aussi selon des experts, des incidences juridiques du report de l’élection risquent de survenir.
Des dispositions dont le code électoral vont certainement sauter et il va falloir réviser la constitution. La balle est dans le camp de ceux qui vont participer au dialogue prochain pour remettre en cause tout le système électoral afin d’éviter le tripatouillage du calendrier électoral.
SN/AS