Lorsqu’on regarde les prévisions du FMI sur les dix pays africains ayant le plus gros produit intérieur brut (PIB) entre 2023 et 2028, nous observons qu’il n’y a aucun pays africain ayant le franc CFA comme monnaie qui y figure, qu’il soit d’ailleurs de l’Afrique l’Ouest ou de l’Afrique du Centre.
Lorsque nous rapportons le produit intérieur brut au nombre d’habitants, c’est à dire le produit intérieur brut par tête d’habitant, seul le Gabon avec le franc CFA d’Afrique centrale intègre le top 10 des pays africains. Les pays africains ayant le franc CFA comme monnaie sont au nombre de quatorze (14) pour cinquante-cinq (55) pays africains. Ils constituent donc 25.45% des pays africains, soit un peu plus du quart des pays africains. Dans le top 10 des projections des pays à plus gros PIB, ils n’y figurent plus soit 0% contre 25.45% qu’ils représentent en nombre de pays. Dans le top vingt (20) , ils sont à peine trois (3) soit à peine 15% par rapport au 25.45 % qu’ils représentent en nombre.
Sur le top 10 du PIB par tête d’habitants, il n’y a que le Gabon soit 10% contre 25.45% qu’ils représentent par rapport au nombre de pays africains. Lorsque nous remontons les projections 2023-2028 à vingt (20) pays ayant le plus gros PIB par tête d’habitant, les pays ayant le franc CFA comme monnaie ne sont que deux (2) à y figurer soit 10% contre 25.45% qu’ils représentent en nombre de pays.
Tous les autres pays dans le top 10 et le top 20, en dehors de l’infime nombre de pays ayant le franc CFA comme monnaie, ont leur propre monnaie. Il est clair, limpide comme l’eau de roche, que le franc CFA est un réel handicap pour ces quatorze (14) pays qui n’arrivent pas du tout à placer un nombre significatif parmi eux dans le top 10 des pays les plus riches d’Afrique. Même lorsque le classement des pays africains est élargi à vingt (20) leur positionnement change très peu. Cette situation persistante et durable prouve aussi qu’aucun pays africain n’est mort économiquement en décidant de créer sa propre monnaie.
Ce faux et humiliant débat sur la monnaie ne se pose d’ailleurs que dans les pays francophones d’Afrique. Partout ailleurs en Afrique, exceptés les pays francophones et la Guinée Bissau, tous les autres pays ont choisi en toute souveraineté d’avoir leur propre monnaie. Nous nous souvenons tous du tollé qu’avait soulevé la revendication du Président Abdoulaye Wade de rapatrier les réserves monétaires des pays d’Afrique de la Banque de France à la BCEAO.
Seule une partie fut rapatriée. La grande partie est encore dans les coffres de la Banque de France privant les pays africains du franc CFA d’un levier primordial d’investissement et de régulation économiques. Si cette réserve ne sert à rien à la France pourquoi s’agrippe-t-elle à la garder sous le coude au détriment des pays africains que ce pays est sensé aider ?
Le lien ombilical du franc CFA avec l’euro n’a pas apporté aux pays africains du franc CFA plus de dynamisme économique. Si nous écartons le sentiment émotif de la méchanceté de la France par rapport aux pays africains qu’avance une grande partie de la population africaine dans les pays francophones, nous pouvons affirmer qu’il n’y a aucun doute que la France a un intérêt économique et financier certain à contrôler la monnaie des quatorze (14) pays africains et surtout à avoir la maîtrise des choix stratégiques de leur développement économique. La monnaie étant un maillon essentiel dans le développement des pays, les chiffres très stables, cités plus haut, prouvent que le franc CFA n’a pas aidé les pays africains qui l’ont adopté comme monnaie à hisser leurs performances économiques au niveau des meilleures performances économiques africaines.
Ces chiffres montrent également que les pays africains qui ont choisi leur propre monnaie, loin d’avoir sombré économiquement, comme tentent de le faire croire chez nous les chantres du franc CFA, sont aujourd’hui, de loin, plus performant que ceux ayant choisi comme monnaie le franc CFA. Dès lors que la France elle-même, ses intellectuels eux-mêmes, ses classes dirigeantes elles-mêmes, n’ont pas su faire leur révolution copernicienne sur la colonisation et le néocolonialisme, il importe alors aux pays francophones d’Afrique d’arracher le plus rapidement possible leur seconde indépendance, leur indépendance définitive. Nous devrons donc impérativement procéder à une refondation de nos relations avec la France. Nous devrons mettre à plat tous les accords de coopération.
Les principes de l’intérêt mutuel, du gagnant -gagnant, du respect mutuel, de la co-construction, de la souveraineté du Sénégal, devront guider le nouveau partenariat que nous établirons avec ce pays dont nous sommes liés par l’histoire et la culture.
Le Sénégal et la France auront plus à gagner, dans la durée, dans ces nouvelles relations entre les deux pays. Naturellement nous supprimerons le franc CFA. Nous créerons la propre monnaie du Sénégal. Lorsque tous les pays de la CEDEAO accepteront de se libérer du franc CFA, nous créerons une monnaie unique en Afrique de l’Ouest dans une vraie zone économique et monétaire des États libres de toute l’Afrique de l’Ouest.
Par Pr Mary Teuw Niane