La création d’une commission vérité et de réconciliation, ainsi que l’établissement de mémoriaux et de fonds d’indemnisation ont été proposés comme des étapes essentielles pour apaiser les blessures de Thiaroye 44 et construire un avenir plus juste. Tels ont été les grands enseignements de la conférence organisée au Musée des Civilisations Noires (MCN) autour du thème : « Thiaroye 44 : Requalification et état des lieux juridiques ». En outre, selon les participants, le massacre de Thiaroye 44 doit être reconnu comme un crime d’Etat et faire l’objet d’une réparation officielle.
La rencontre, réunissant des experts de renom pour discuter sur le thème « Thiaroye 44 : Requalification et état des lieux juridiques », a permis d’aborder les enjeux historiques, juridiques et mémoriels liés à ce tragique événement, qui continue de marquer les consciences en Afrique et au-delà. La conférence était modérée par Moussa Bocar Ly, ancien ambassadeur et figure respectée du monde diplomatique, dont la pondération a donné le ton à des échanges riches et approfondis.
Le massacre de Thiaroye, survenu le 1er décembre 1944, reste l’un des épisodes les plus sombres de l’histoire coloniale française en Afrique. Des tirailleurs sénégalais, anciens prisonniers de guerre libérés par les Allemands et rapatriés au Sénégal, ont été massacrés par l’armée française alors qu’ils réclamaient le paiement de leurs indemnités. Ce crime, longtemps occulté, a été qualifié de « massacre » par les historiens, mais sa reconnaissance juridique en tant que crime de guerre ou crime contre l’humanité reste un sujet de débat.
La conférence, organisée par une sous-commission chargée des questions juridiques, a réuni des experts de divers horizons, dont le Professeur Mamadou Badji, ancien recteur de l’Université Assane Seck de Ziguinchor, le Procureur Youssoupha Diallo, Me Mamadou Ismaila Konaté, avocat et ancien ministre, Garde des sceaux du Mali, et Samba Thiam, historien du droit. L’objectif était de faire le point sur les avancées juridiques et les perspectives de réparation pour les victimes et leurs descendants.
Son Excellence Moussa Bocar Ly, ancien ambassadeur et modérateur du panel, a ouvert la conférence en rappelant l’importance de cette rencontre pour la mémoire collective et la justice historique. Il a dirigé les débats en posant des questions et en veillant à ce que chaque intervenant puisse développer ses arguments de manière approfondie.
Moussa Bocar Ly a également souligné l’importance de cette conférence dans un contexte où les questions de réparation et de reconnaissance des crimes coloniaux prennent une place croissante dans les débats internationaux. Il a insisté sur la nécessité de ne pas laisser ces événements sombrer dans l’oubli et de travailler à une réconciliation basée sur la vérité et la justice. En outre, il a salué le travail remarquable abattu par le professeur Mamadou Diouf, historien, (Columbia University aux Etats Unis) et qui fut président du Comité de commémoration du massacre de Thiaroye, au Sénégal, le 1er décembre dernier.
S’agissant de la qualification juridique des faits, le Professeur Mamadou Badji a ouvert les débats en rappelant le contexte colonial dans lequel s’est déroulé le massacre de Thiaroye. Il a souligné que les tirailleurs sénégalais, bien que recrutés dans toute l’Afrique de l’Ouest, étaient traités de manière inégale par rapport aux soldats français. Leur statut de « sujets coloniaux » les privait de nombreux droits fondamentaux, ce qui a facilité leur répression violente lorsqu’ils ont osé réclamer leurs droits.
Sur le plan juridique, le Professeur Badji a insisté sur la nécessité de requalifier les faits. Selon lui, le massacre de Thiaroye pourrait être considéré comme un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, en vertu du droit international humanitaire. Il a rappelé que les conventions de Genève de 1949 et le Statut de Rome de la Cour pénale internationale offrent un cadre juridique pour une telle qualification. Cependant, il a également noté les obstacles politiques et juridiques à cette reconnaissance, notamment la prescription des faits et les résistances internes en France.
Le Procureur Youssoupha Diallo, fort de son expérience au sein des Chambres africaines extraordinaires, a apporté une perspective pragmatique sur la question. Il a rappelé que la qualification des faits est une étape cruciale pour toute poursuite judiciaire. Selon lui, le massacre de Thiaroye présente des éléments constitutifs de crimes de guerre, notamment l’exécution de soldats désarmés et la violation des droits humains fondamentaux.
Cependant, le Procureur Diallo a également souligné les difficultés pratiques liées à la prescription des faits et à l’identification des responsables, dont beaucoup sont décédés. Il a proposé la création d’une commission vérité et réconciliation, inspirée du modèle sud-africain, pour permettre une reconnaissance officielle des faits et une réparation symbolique et matérielle pour les victimes et leurs descendants.
Maître Mamadou Ismaila Konaté, ancien ministre, Garde des sceaux du Mali, a abordé la question des réparations sous un angle à la fois juridique et mémoriel. Il a insisté sur la nécessité de réparer non seulement les préjudices matériels, mais aussi les blessures morales et historiques causées par le massacre. Selon lui, la réparation doit être à la fois symbolique (excuses officielles et mémorielles) et matérielle (indemnisation des descendants).
Me Mamadou Ismaila Konaté a également évoqué la responsabilité collective de la France et de l’Afrique dans ce processus de réparation. Il a appelé à une collaboration entre les États africains et la France pour établir un fonds d’indemnisation et garantir que la mémoire de Thiaroye soit préservée pour les générations futures.
Pour sa part, Pr Samba Thiam, historien du droit, a conclu les interventions en rappelant l’importance de la mémoire dans le processus de réparation. Il a souligné que le massacre de Thiaroye n’est pas seulement une affaire sénégalaise, mais un événement qui concerne toute l’Afrique et l’humanité. Pr Thiam a proposé la création d’un mémorial dédié aux tirailleurs sénégalais et l’intégration de cette histoire dans les programmes éducatifs africains.
La conférence s’est achevée sur un consensus : le massacre de Thiaroye doit être reconnu comme un crime d’État et faire l’objet d’une réparation officielle. Les participants ont appelé à une mobilisation internationale pour soutenir cette cause, notamment à travers des institutions comme la Cour pénale internationale ou la Cour européenne des droits de l’homme.
SN/SHN